L’entretien préalable au licenciement peut-il avoir lieu par visioconférence ?

L’évolution des outils technologiques, les périodes de confinement liées à la pandémie de la Covid-19, le recours encouragé au télétravail et la démocratisation des visioconférences en entreprise par Skype, Teams, Zoom, FaceTime et autres qui en a résulté, relancent le débat sur la possibilité pour l’employeur d’organiser un entretien préalable à un éventuel licenciement par visioconférence. Mais quelle est la validité d’un tel entretien ?

L’article L. 1232-2 alinéa 1er du Code du travail dispose que « l’employeur qui envisage de licencier un salarié le convoque, avant toute décision, à un entretien préalable ». L’objet de cet entretien est d’engager une discussion contradictoire, un dialogue avec le salarié sur les faits que l’employeur lui reproche et donc sur les motifs de la mesure de licenciement envisagée de sorte à ce que l’employeur puisse recueillir les observations du salarié et prendre une décision après avoir respecté un délai de réflexion.

L’article R. 1232-1 du Code du travail précise simplement que « la convocation doit notamment préciser la date, l’heure et le lieu de cet entretien » mais aucune indication n’est donnée quant au lieu de cet entretien ou aux modalités de déroulement de l’entretien préalable et notamment si celui-ci, outre en présentiel, pourrait être organisé par téléphone ou par visioconférence.

Cette dernière question et en particulier la validité d’un entretien préalable qui ne se tiendrait pas physiquement mais grâce aux nouveaux outils technologiques se pose avec d’autant plus d’acuité que les organisations de travail au sein des entreprises ont été bouleversées par la crise sanitaire.

Si la question a été tranchée il y a plusieurs années par la Cour de cassation pour ce qui concerne l’entretien par téléphone qui ne saurait remplacer l’entretien préalable prévu par le code (Cass. Soc. 14 novembre 1991 n° 90-44.195)1, la Cour de cassation ne s’est pour l’instant jamais prononcée sur la validité du recours à la visioconférence.

Il convient donc de se reporter aux quelques décisions rendues par les juges du fond en la matière dont on ne peut que constater que les positions divergent…

Des arrêts de Cours d’appel divisés

La Cour d’appel de Rennes a admis la régularité d’un entretien préalable par visioconférence. Dans cette affaire, l’employeur avait accepté de mener l’entretien préalable par visioconférence après que le salarié, qui ne pouvait pas se déplacer au siège de l’entreprise pour des raisons médicales et familiales, lui en ait fait la demande. L’employeur et le salarié s’étaient donc préalablement mis d’accord pour que l’entretien se déroule en visioconférence (Cour d’appel de Rennes, 11 mai 2016 n°14-08.483).

D’autres juridictions ont adopté une position contraire. La Cour d’appel de Bourges par exemple a refusé d’admettre la régularité d’un entretien préalable tenu par visioconférence au motif « que ce procédé ne permettait pas de savoir qui assiste réellement à l’entretien » (Cour d’appel de Bourges, 15 novembre 2019, n°18-00201).

Plus récemment, la Cour d’appel de Grenoble a adopté la même position et refusé de reconnaître la validité de la procédure de licenciement par visioconférence. Sa motivation peut surprendre dans la mesure où, alors qu’ils relevaient que les parties avaient d’un commun accord accepté de « recourir à une visioconférence Skype, au cours de laquelle chacune a pu faire entendre son argumentation de façon parfaitement claire, et que la confidentialité a été assurée dans ce cadre », les juges ont tout de même invalidé l’entretien préalable au motif que les dispositions du Code du travail ne permettaient pas un autre mode que la rencontre physique (Cour d’appel de Grenoble, 7 janvier 2020, n°17-02.442).

Enfin, la Cour d’appel Versailles après avoir rappelé que l’entretien préalable à un licenciement doit en principe se tenir en présence physique des parties, a estimé que les circonstances pouvaient légitimer l’organisation d’un entretien par le biais d’une téléconférence. La Cour a précisé qu’elle considérait que cette modalité ne constituait pas une irrégularité de procédure dès lors que les circonstances le justifiaient, que les droits du salarié avaient été respectés et que ce dernier avait été en mesure de se défendre utilement. Dans cette affaire néanmoins, les circonstances très particulières liées au statut d’expatriée de la salariée et sa localisation à Dubaï pouvaient expliquer la décision de l’employeur de recourir à un entretien à distance via une téléconférence (Cour d’appel de Versailles, 4 juin 2020, n°17-04.940).

Si l’on peut espérer que cette décision marque un infléchissement jurisprudentiel vers une adaptation du principe d’une présence physique à l’entretien préalable aux évolutions du monde du travail et à la démocratisation des nouveaux outils de communication, il convient de rester prudent car les circonstances de fait ont dû fortement participer à la solution dégagée.

Une Administration circonspecte

Dans une note sous forme de questions-réponses non publiée à jour du 29 mai 2020, la Direction Générale du Travail a distingué deux périodes en considérant que l’entretien préalable au licenciement pouvait se dérouler par visioconférence pendant la période du 12 mars au 10 mai 2020 mais qu’à compter du 11 mai 2020 « les déplacements notamment à titre professionnel étant autorisés, l’entretien préalable doit se tenir dans les conditions habituelles, en présentiel ».

Si l’Administration semble ainsi se prononcer en faveur d’un entretien préalable en présentiel sauf circonstances exceptionnelles, il demeure intéressant de se reporter aux conditions qui avaient été posées par celle-ci pour la tenue d’un entretien préalable en visioconférence pendant la période du premier confinement et qui peuvent d’ailleurs rapprochées de celles édictées par la jurisprudence.

– L’employeur ne pouvait avoir recours à une visioconférence que « sous réserve d’un accord préalable des deux parties, employeur et salarié, sur l’utilisation de cette modalité ». La DGT en profitait pour écarter « toute autre forme d’entretien à distance » et précisait que la simple conversation téléphonique ou l’audioconférence, de même que l’échange de courriers postaux ou de messages électroniques restaient à proscrire.

Il ressort de cette première condition qu’un employeur ne pourrait régulièrement imposer au salarié le recours à la visioconférence. Il est donc nécessaire de recueillir l’accord préalable écrit et non équivoque du salarié concerné par la procédure. En pratique, il serait envisageable de solliciter l’accord du salarié lors de la convocation à l’entretien préalable en indiquant le délai dont ce dernier disposerait pour donner expressément son consentement au recours à la visioconférence et en précisant qu’à défaut, l’entretien se tiendra en présentiel.

– En outre, l’Administration insistait sur le fait que les parties devaient « s’assurer que les outils techniques utilisés [permettaient] la tenue de la réunion dans des conditions correctes d’émission et de réception de l’image et du son, sans interruption pendant toute la durée de la réunion, tant du côté de l’employeur que du côté du salarié et, le cas échéant, de la personne qui [l’assistait] ». À défaut, la DGT indique qu’il convient d’interrompre l’entretien et de le reporter à une date ultérieure.

– Quant au déroulé, l’Administration invitait à veiller à ce que chaque participant décline son nom et sa qualité distinctement dès le début de l’entretien et s’engage sur l’honneur à ce qu’aucune autre personne ne soit présente dans la pièce et à ce qu’aucun contact par téléphone ou par messagerie ne soit établi avec un tiers, à aucun moment au cours de l’entretien.

– Enfin, la DGT préconisait aux parties d’établir un compte-rendu « fidèle et précis à l’issue de l’entretien préalable, retraçant les modalités de l’entretien, les garanties apportées par ces modalités et le contenu des échanges », afin de limiter les risques de contestations et de contentieux ultérieurs.

Quelle conclusion en tirer à ce jour ?

Étant donné le silence des textes et la jurisprudence partagée des juges du fond, il n’existe aujourd’hui aucune garantie de la validité juridique d’un entretien préalable effectué par visioconférence.

Le risque de condamnation pour irrégularité de la procédure reste donc une éventualité, étant rappelé que l’indemnité susceptible d’être allouée en cas d’irrégularité de procédure de licenciement est plafonnée à un mois de salaire et ne peut se cumuler avec l’indemnité pour licenciement abusif2. Il convient ainsi de prendre en considération ce risque avant de décider, en fonction des circonstances propres à chaque dossier, de déroger exceptionnellement au principe de la tenue d’un entretien préalable en présentiel.

Si une telle décision était prise en dépit du risque, il conviendra d’être particulièrement prudent avant d’organiser un tel entretien par visioconférence et ce dès le stade de la convocation à l’entretien préalable. En effet, même si la crise sanitaire actuelle et les mesures gouvernementales prises pour limiter la propagation du virus peuvent laissent penser que le recours à la visioconférence pourrait être admis, il apparaît dans tous les cas indispensable de veiller à pouvoir justifier les conditions et garanties procédurales mises en œuvre afin de minimiser le risque contentieux.

L’arrêt de la Cour d’appel de Versailles précité du 4 juin 2020 ayant fait l’objet d’un pourvoi, la Cour de cassation aura l’occasion de se prononcer sur cette question dont la résonnance est particulière compte tenu du contexte sanitaire et du développement du télétravail. On attend avec une certaine impatience la position de la Haute Juridiction sur cette décision d’actualité.

1Cette position a été récemment suivie par les juges du fond, notamment par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence dans un arrêt du 14 février 2020 (n°17/10274) qui a jugé que l’entretien préalable par téléphone rendait la procédure suivie irrégulière au motif qu’il « n’était pas autorisé par la loi ni validé par la jurisprudence ».
2 Article L. 1235-2 du Code du travail